Fort-Sainte-Marie 2015

Voyage du 2 au 18 avril 2015 : Le Havre – Montoir-de-Bretagne – Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) – Fort-de-France (Martinique). Retour en avion.

Le Fort Sainte Marie est un porte-containers de 198 m. de long, par 30 m. de large et 8.5 m. de tirant d’eau, pour une jauge de 26’342 tonneaux (tjb). Il peut charger 2260 EVP.
L’équipage comprend le commandant, son second, un autre second en formation, un ingénieur en chef, 3 officiers navigants, 6 ingénieurs spécialistes (notamment des containers réfrigérés), 1 cook, 1 électricien, 1 bosco, 8 marins, 1 steward et 2 hommes de mess, soit en tout 27 hommes.
Les officiers de pont sont français, ainsi que le cook, l’électricien et le bosco; la plupart des autres sont philippins, comme sur beaucoup de cargos.

Côté passagers, il y une douzaine de lits répartis dans 5 cabines, mais nous ne serons jamais plus de 4 en même temps.

Première étape :

Le Havre – Montoir-de-Bretagne,
jours 1 à 3

Deuxième étape :

Traversée de l’Atlantique, en passant par les Açores,
jours 4 à 10

Troisième étape :

Guadeloupe – Martinique,
jours 11 à 14

Jeudi 2 avril 2015

Voyage de Genève au Havre, en train.


Vendredi 3 avril – jour 1

Embarquement sur le CMA CGM Fort Sainte Marie vers 13h00, sous une petite pluie maussade et réfrigérante. Je suis accueilli par un marin philippin, comme il se doit, puis par le second officier, un français.  Les formalités sont rapides, et j’attends ensuite une petite heure dans le salon des passagers, car ma cabine n’est pas encore prête.

Ce cargo est plus grand, mais plus ancien que le Samskip Express de 2014. Il y a un grand salon pour les passagers, avec possibilité de se faire des boissons chaudes, un frigo, une télé pour visionner les DVDs, des tables et des chaises et des canapés. Les cabines sont plus spacieuses que sur le Samskip, et équipées d’un frigo; il y en a cinq, mais seules trois seront occupées par des passagers pour cette croisière : moi, une dame seule et un couple. Le cargo est équipé d’une petite salle de sport, d’une piscine riquiqui (on dirait plutôt un gros tonneau), et il y a une armoire à livres pompeusement appelée bibliothèque, une collection de DVD et une collection impressionnante de BDs en français. Luxe suprême : il y a un ascenseur, ce qui nous évite de faire systématiquement 4 étages d’escalier dans les deux sens à chaque repas. Et qui est surtout très utile pour les bagages le premier et le dernier jour !

Je fais la connaissance de Nadine, une bretonne dans la cinquantaine qui émigre définitivement aux Antilles et qui va aussi à Fort de France, et de Jean-Luc et Marie-Françoise, un couple de retraités bourguignons, qui sont en train de boucler un tour : ils avaient fait Dunkerque – Les Antilles juste avant les fêtes pour passer Noël avec leur fille et sa famille à La Guadeloupe; ils sont restés 4 mois sur place et rentrent maintenant chez eux. Ils nous quitteront après-demain à Montoir-de-Bretagne.

Départ vers 22h00 en direction de Montoir-de-Bretagne, qui est en fait le port marchand de Saint-Nazaire.


Samedi 4 avril – jour 2

Navigation toute la journée dans la Manche, en tournant autour de la Bretagne, mais loin des côtes. Comme toujours, un trafic très dense sur le Chanel, les officiers sont à cran, en particulier quand nous coupons le rail d’Ouessant pour mettre le cap sur Saint-Nazaire.

Le temps est assez gris et frais, mais il ne pleut plus. Après le repas de midi, on imagine même pendant quelques minutes que le soleil pourrait se pointer, mais non, fausse alerte…

Je me laisse embarquer par Jean-Luc et Marie-Françoise dans un tour du bateau : on met les casques, on descend au premier pont et on se lance le long de la coursive, sous les containers pour aller tout à l’avant du navire : le seul endroit calme, car on n’entend pas le moteur, juste le bruit de l’étrave qui fend la mer : c’est tout à fait magique !

Sur un vaisseau en marche, il y évidemment toujours du bruit : tout dépend à quelle hauteur du bateau on se trouve, de quel côté (au vent ou sous le vent) et à quelle vitesse il marche.
Mais on sent toujours les vibrations des machines et on entend toujours le ronron du moteur, même dans les cabines. Le seul endroit où l’on entend rien (quand le navire est en marche), c’est à la proue, tout devant, car tout le bruit se produit derrière soi. C’est très reposant d’y aller de temps en temps, mais sur ce navire,  il faut mettre un casque et informer la passerelle en partant et en revenant. Et c’est loin : 200 mètres !

Coins et recoins du vaisseau…

Nous sommes trop loin des côtes pour avoir du réseau « normal », donc pas d’accès à Internet et pas de téléphone personnel, mais nous avons droit – sur un pc collectif dédié – à une boite e-mail par satellite, et ça c’est une vraie bonne nouvelle, même si les messages sont envoyés et relevés seulement 2 ou 3 fois par jour et même si le pc doit être partagé avec les passagers et une partie de l’équipage : je vais pouvoir rester en contact avec Sandrine, c’est vraiment cool…


Dimanche 5 avril – jour 3

Grand beau sur Montoir-de-Bretagne. Chargement, déchargement de containers. Nous prenons congé de Jean-Luc et Marie-Françoise (photos, échanges d’e-mails) et nous accueillons Claude et Odette, un couple de retraités français qui habite dans la région de Clermont-Ferrand. Lui est un ancien commandant de marine, retraité de la CGM ! Il connait donc tout de la navigation, il a fait le monde entier, y compris le ravitaillement des bases polaires françaises. Notre commandant le salue avec une grande déférence, apparemment et quoi qu’il s’en défende, Claude est une légende dans le métier. En tout cas, c’est une mine d’anecdotes et d’informations, mais pas le genre à te faire tartir avec des histoires sans fin, il faut lui poser des vraies questions pour le lancer. Sa femme fait penser à une bonne espagnole, une rigolote pas compliquée qui a toujours un mot à dire sur tout ! Au bout de quelques heures, on se tutoie tous, et Odette nous promet d’organiser un tournoi de canasta (variante du rami qui se joue par équipe) un de ses soirs !

La cuisine sur ce cargo est vraiment classe : deux repas copieux par jour, avec entrée, fromage et dessert ! Aujourd’hui à midi, un vol-au-vent aux escargots absolument délicieux. Le chef est un breton un peu ombrageux, qui est le parfait sosie de l’acteur Jacques Dufilho, qui jouait dans le Cheval d’orgueil. Nous sommes servis à table par deux stewards philippins et nous avons du vin, assez bon. C’est beaucoup mieux que la cuisine allemande de ma virée précédente ! Nous avons une table réservée dans le mess des officiers, mais pas avec eux, assez loin en fait pour ne pas entendre leurs conversations… L’équipage a son propre mess, de l’autre côté des cuisines, qui n’est pas autorisé aux passagers.

Départ de Montoir à 14h00 ; la sortie de l’estuaire de la Loire est extraordinaire et très impressionnante, surtout quand nous passons sous l’immense pont de Saint-Nazaire.

Sortie de l’estuaire de la Loire

L’après-midi se passe au soleil sur la passerelle et nous attaquons la pleine mer. L’avantage d’aller vers l’ouest, c’est que le coucher de soleil dure très longtemps et que l’on peut voir presque à chaque fois le fameux « rayon vert » que décrivent les marins.

Un peu de houle durant la nuit : le rideau de mon hublot se promène tout seul sur son rail, je suis obligé de l’attacher…. Plus rien sur le bureau, à part mon mobile qui me sert de réveil, comme toujours.

Cette nuit, nous gagnons une heure; au total, il y a six heures de décalage entre l’Europe à  l’heure d’été (GMT+2) et les Antilles (GMT-4).


Lundi 6 avril – jour 4

En matinée, théorie sur la sécurité, avec le commandant et le second, sur la passerelle.
Un officier philippin nous montre comment s’équiper avec notre combinaison de survie :  on espère ne jamais avoir à enfiler ce truc !! En fin d’après-midi, exercice d’évacuation du navire : la sirène hurle, tout le monde dégringole les escaliers avec son casque et sa combinaison de survie à la main, on se rassemble dans la coursive du pont B, près des embarcations de survie, à attendre les ordres : c’est comme dans « USS Alabama » !

Nadine m’a prété un de ses pc’s avec lecteur de dvd, je me regarde « les marches du pouvoir » de et avec Georges Clooney, sur les magouilles de campagnes électorales et les désillusions de ceux qui ont un idéal en politique. Ça sent le vécu !

Nous retardons une nouvelle fois nos montres d’une heure…


Mardi 7 avril – jour 5

Mer agitée, pas mal de mouvements, temps grisouille. Apéro du commandant avant le dîner, contact très sympas avec les officiers français, champagne et petits feuilletés divers : on arrive tous en retard et un peu torchés au dîner !!

Une heure de moins, de nouveau. Nous avons maintenant 3 heures de différence avec Genève.


Mercredi 8 avril – jour 6

Il fait nettement plus chaud et la mer est un peu plus calme. On traverse quelques petits grains, des petits orages qui nous mouillent à peine. On a passé les Açores par le nord ce matin vers 5 heures, mais nous étions trop loin (30 miles, distance minimale depuis le naufrage du Costa Concordia) pour avoir du réseau téléphonique.

Je réalise à peine que j’ai déjà fait presque la moitié du voyage…

La nuit, je passe pas mal de temps à regarder les étoiles : évidemment, on en voit beaucoup plus et elles sont bien plus brillantes que chez nous, en absence de toute lumière parasite.
Malheureusement, on ne peut pas bien les observer à la jumelle, à cause de la vitesse du cargo et de ses mouvements, sauf celles qui sont assez bas sur l’horizon. On voit bien qu’elles sont de couleurs très variées et pas justes blanches, comme on elles apparaissent chez nous…


Jeudi 9 avril – jour 7

Le beau temps s’installe petit à petit. Mer quasiment plate, un tout petit peu de roulis, un soleil timide qui joue à cache-cache avec quelques nuages… Il fait bon sur les transats en bois du pont passagers.

J’ai suivi un voilier à la jumelle pendant presqu’une heure : il était à la limite de l’horizon et disparaissait par moment dans la brume, pour réapparaître quand le soleil faisait briller ses voiles. Il marchait bien, vent de travers, probablement au tiers de notre vitesse à peu près. J’ai fini par le perdre quand il basculé derrière l’horizon… car la Terre est vraiment ronde quand on est au milieu de l’Océan.

Les passagers offrent l’apéro aux officiers français sur la passerelle : ti-punch et « planteur » aux lueurs du soleil couchant, avec le steward philippin qui coupe le saucisson auvergnat et la baguette : l’empire français est de retour !!!


Du vendredi 10 au dimanche 12 avril – jour 8 à 10

Vendredi après-midi, nouvel exercice d’urgence : on a déjà fait « abandon du navire », là c’était « incendie ». Il nous reste « alarme générale », on y aura peut-être droit un de ces quatre matins.

Navigation sans histoires sur une mère très calme. Nous nous rapprochons du Tropique du Cancer, il fait de plus en plus lourd. Bancs de poissons volants et de sargasses, ces algues rouges qui deviennent une véritable calamité lorsqu’elles échouent sur les côtes.

Tout le monde sait qu’en allant vers l’ouest, il faut retarder sa montre. Il arrive donc un moment où je peux lire un message de Sandrine quelques heures avant qu’elle ne l’écrive : si elle m’écris à 18h00 (pour elle) et que je lis son message une heure après (soit à 19h00 pour elle), il est 15h00 pour moi.

Pour corser le tout, l’ordinateur du vaisseau que j’utilise est réglé en TU (temps universel) c’est-à-dire à l’heure du méridien de Greenwitch). Donc Sandrine est en GMT + 2, l ’ordinateur du bord est en GMT et je suis en GMT – 4 !


Lundi 13 avril – jour 11

Arrivée spectaculaire à Pointe-à-Pitre, sous-préfecture de la Guadeloupe ! Tout le monde est sur le pont à 5 heures pour voir monter le pilote et pour apprécier les manœuvres dans ce port assez petit et qui camouffle des pièges pour les cargos, dont le fameux « Bancs des couillons », dont le nom dit bien ce qu’il veut dire. On admire la fameuse marina qui sert d’arrivée à la Route du Rhum.

Enfin du réseau téléphonique et l’occasion de parler à Sandrine.

Excursion à terre : Claude et Odette ont prévu de louer une voiture et m’embarquent avec eux pour une découverte de la Guadeloupe, enfin d’une moitié de la Guadeloupe, car faute de temps, il faut choisir entre Basse-Terre (la plus haute partie de l’île!) et Grande-Terre.
Nadine a préféré rester à bord.

Temps incertain, mais chaleur lourde et poisseuse, ce sont les alizés ! Baignade, resto typique – il faut le dire vite -, visite d’une distillerie et du musée du rhum, avec dégustations généreuses, arrêts photos dans quelques jolis coins. Je ne suis pas vraiment conquis par la Guadeloupe : on se croirait dans la zone industrielle d’une ville française quelconque, la chaleur et l’humidité en plus. Les magnifiques maisons des planteurs d’autrefois sont pour la plupart très mal entretenues et tombent en ruine, les plages sont une succession de baraques à frites, de paillottes minables et de location de divers moyens de transport sur l’eau.


Mardi 14 avril – jour 12

Journée farniente sur le cargo. Nous naviguons lentement entre les îles, en direction de la Martinique : Trois-Rivières, Marie-Galante, Dominique… on dirait une chanson !


Mercredi 15 avril – jour 13

Arrivée à Fort-de-France, avec un jour d’avance… Je réussi tout de même à obtenir une chambre dans l’hôtel où je devais arriver le lendemain en fin de journée… Je prends congé de mes camarades de croisière : Claude et Odette restent à bord, ils feront le voyage retour, Nadine débarque dans sa nouvelle patrie, ses amis sont venus la chercher.

Je la retrouve le soir venu dans une resto super sympa en plein cœur de Fort de France, où nous dégustons des spécialités de poissons… et de tord-boyaux locaux.

Après plusieurs tentatives pour appeler un taxi, je mets une bonne heure pour rentrer à pieds à l’hôtel, en traversant sans soucis des quartiers assez déconseillés aux touristes (mais je ne l’ai appris que le lendemain !)


Jeudi 16 avril – jour 14

Virée dans l’île en solitaire, avec la visite du célèbre jardin de Balata, à une heure de route de Fort de France.  Cette collection particulière de végétaux des tropiques est absolument unique au monde et sa visite est un véritable enchantement.

Mon avion pour Paris doit décoller vers 21h00, Claude et Odette viennent me dire au revoir au bistrot de l’aéroport, vite un dernier « planteur » avant de se quitter… Eux, ils feront le voyage de retour sur le cargo, je les envie…


Vendredi 17 avril – jour 15

Après un vol de 8 heures sans escale, très confortable dans la nouvelle classe « économique+ » d’Air France, avec assez d’espace pour mes jambes, arrivée à Paris Orly, changement d’aérogare pour Charles de Gaulle (un vrai parcours du combattant), et départ pour Genève.